- Avant 1914 Les racines
- 1914 - 1918 1ère guerre mondiale
- 1919 Traité de Versailles
- 1920 La consultation populaire
- 1920 - 1939 Entre deux guerres
- 1939 Les élections
- 1940 - 1944 L'annexion
- 1945 La libération
Conclusion
La reconnaissance du statut particulier des enrôlés de force n’entrera en vigueur qu’en 1974. Des 6000 demandeurs, 5000 obtiennent, après examen par une commission, ce statut, ce qui leur donne le droit à partir de 1989 à un dédommagement.
C’est dans ce contexte que la Région de langue allemande est créée. Composée des cantons d’Eupen et de St-Vith, elle est désormais séparée des communes de Malmedy et de Waimes, communes francophones à facilités pour les germanophones.
Toute cette histoire sera finalement peu à peu enfouie pour apaiser les tensions au sein d’une population frontalière meurtrie par plus de cinquante ans d’incertitude identitaire.
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Avant 1914
Introduction
Les Cantons de l’Est de la Belgique sont composés aujourd’hui de onze communes : neuf germanophones et deux francophones. Une terre de tourisme autour du Plateau des Hautes-Fagnes.
Une région unie par la force des choses mais sans identité historique commune avant 1795
Vienne, le 3 juin 1815, rattachement à la Prusse.
Le 3 juin 1815, le Congrès de Vienne, signé suite à la défaite de l’Empereur français Napoléon apporte des changements décisifs à la carte politique de l’Europe : les frontières sont redessinées, les états réorganisés et les territoires cédés ou annexés…
Ainsi, les Cantons de l’Est tombent dans le giron de la Prusse. Eupen, Malmedy et St-Vith feront successivement partie de la Prusse puis de l’Empire allemand de 1871 jusqu’en 1919.
La germanisation de la région
Jusqu’en 1866, le français et le wallon seront tolérés, et même appréciés par les différents rois de Prusse, dans les nouvelles régions francophones de la Prusse. Mais à sa prise de pouvoir le chancelier Bismarck instaure une politique contre les minorités linguistiques. De nouvelles législations en matière d’emploi des langues entrent en vigueur.
L’usage de l’allemand devient obligatoire dans tous les actes administratifs et dans l’enseignement, y compris pour les habitants des communes francophones de Malmedy et de Waimes.
En réaction, les habitants de ces deux communes ont intensifié les activités culturelles wallonnes, avec notamment la création du Club wallon en 1897. L’abbé Nicolas Pietkin en est un des fondateurs avec notamment son neveu Henri Bragard. Ils seront rejoints dans leur combat par l’abbé Jules Bastin.
1914 - 1918
1914-1918 la Grande Guerre
La suite de l’histoire de ces Cantons passe par la Première Guerre Mondiale (1914-1918). Le 1er août 1914, suite à de vives tensions dans toute l’Europe, l’Allemagne déclare la guerre à la Russie. Le lendemain, elle envahit le territoire neutre du Luxembourg et, le surlendemain celui de la Belgique, neutre aussi.
L’invasion de la Belgique est facilitée par l’achèvement de la ligne de chemin de fer qui relie, à partir de 1914, la ville prussienne de Malmedy à la ville belge de Stavelot.
Les habitants
Les habitants des «Kreis» (cercles) d’Eupen et de Malmedy sont enrôlés dans l’armée prussienne. Beaucoup y périrent ou furent gravement blessés.
L’immense camp militaire d’Elsenborn construit à partir de 1895 est conçu pour loger entre 4.000 et 5.000 hommes, soit trois brigades.
Durant cette guerre, il n’y aura pas de mouvements de désertion de l’armée prussienne. Les jeunes gens de la région, germanophones et wallons, sont plutôt fiers d’appartenir à la grande armée prussienne.
Seuls quelques activistes wallons seront placés sous surveillance. L’armée allemande évitera de les envoyer sur les fronts de guerre proches de la Belgique ou de la France.
1800 combattants
1800 combattants de la région perdront la vie dans ce conflit. Parmi eux, environ 400 Wallons. Les avis mortuaires des soldats tombés au front constituent des documents uniques qui mettent en évidence le grand nombre des victimes des effroyables combats de la Première Guerre mondiale.
On remarquera que les annonces mortuaires rédigées en français (malgré l’interdiction de cette langue dans les actes officiels) concernent les soldats de la Wallonie prussienne.
Versailles, le 28 juin 1919
Le rattachement à la Belgique
L’armistice du 11 novembre 1918 mettra fin à cette Première Guerre mondiale, marquant la victoire des Alliés (notamment la France, l’Empire britannique, l’Italie et les Etats-Unis) et la défaite totale de l’Allemagne.
Une guerre dont le bilan est estimé à 18,6 millions de morts, d’invalides et de mutilés, dont 8 millions de civils.
A partir de janvier 1919, les Alliés se réunissent au château de Versailles pour négocier le statut de l’Allemagne, et notamment fixer ses nouvelles frontières. La question de la frontière Belgo-allemande sera l’un des points de détail de cette négociation.
Négociations auxquelles ni la Belgique, ni l’Allemagne n’ont été conviées.
Espoir d’un rassemblement wallon
Des Wallons du pays de Malmedy, dont Henri Bragard et l’Abbé Bastin, adressent une supplique au Roi Albert Ier pour qu’il intervienne auprès des puissances alliées afin de rectifier les frontières tracées en 1815 par le Congrès de Vienne. À l’époque, leur demande ne concerne que la Wallonie prussienne, terme géographique reprenant la région de Malmedy et de Waimes où on parle le français.
Finalement, les négociateurs belges et les puissances alliées de 1914-1918 (Les Français, les Anglais, les Américains) tombent d’accord pour transférer à la Belgique les anciens «Kreis» (cercles) d’Eupen et de Malmedy (Saint-Vith relevant alors du Kreis de Malmedy).
Seule condition : le Traité de Versailles avait prévu une consultation populaire obligatoire pour obtenir l’assentiment de la population au changement de nationalité.
La consultation populaire
Cette consultation populaire sera organisée entre le 26 janvier et le 23 juillet 1920. Les opposants à l’annexion devaient inscrire leurs noms et leur adresse dans deux registres à Eupen et Malmedy.
Un processus trop contraignant pour la population locale. Bien qu’ils soient largement favorable à un maintien en Allemagne, les habitants de la région ne participeront pas à cette consultation populaire. Seules 271 personnes (essentiellement des fonctionnaires de l’ancien Reich) sur 33.726 électeurs potentiels se déplaceront et voteront pour le maintien en Allemagne.
La Société des Nations proclame officiellement, le 20 septembre 1920, l’incorporation d’Eupen, Malmedy et Saint-Vith à la Belgique. La Belgique s’agrandit ainsi de 1.050 km2 : une région en forme de haricot comprenant 31 localités (25 germanophones et 6 francophones) naît sous le vocable de « Cantons rédimés » (« rendus » en vieux français).
1920
1920 - 1939
L’administration Baltia
A l’exception des habitants du territoire de Moresnet-Neutre qui sont directement intégrés à la Belgique au sein de la commune de La Calamine (Kelmis), les autres communes des Cantons d’Eupen et de Malmedy seront placées durant 5 ans sous la tutelle d’un gouvernement provisoire dirigé par le haut-commissaire Général Baron Herman Baltia.
Celui-ci est un ancien militaire belge maîtrisant parfaitement la langue allemande chargé d’assurer la transition en douceur entre l’administration allemande et la nouvelle administration belge. Il prend ses fonctions le 10 janvier 1920 et se voit attribuer la plénitude des pouvoirs législatif et exécutif sous l’autorité du premier ministre.
Les Cantons de l’Est deviendront définitivement belges le 1er juin 1925. Mais des tractations auront encore lieu dans les années suivantes avec l’Allemagne, pour rendre ces territoires contre une compensation financière. Discussions qui n’aboutiront jamais.
L’Allemagne refuse le Traité de Versailles
L’Allemagne n’a jamais digéré les clauses du Traité de Versailles, notamment les pertes territoriales. La lente montée du nazisme jusqu’à la prise du pouvoir de Hitler en 1933 va raviver dans la région, les rêves d’une Allemagne unie.
Dès 1930, le parti nazi a, sous l’impulsion d’Hitler, élaboré son programme définitif avec ces deux premiers articles :
1. Nous exigeons la constitution d’une Grande Allemagne, réunissant tous les Allemands sur la base du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
2. Nous exigeons l’égalité des droits du peuple allemand au regard des autres nations, l’abrogation des traités de Versailles et de Saint-Germain, qui ont déterminé les nouvelles frontières de l’Allemagne.
Les Cantons de l’Est sont directement visés par ces points et la propagande nazie n’aura de cesse de s’infiltrer par tous les moyens dans la vie politique et quotidienne pour faire aboutir ces revendications.
La propagande pro-allemande s’organise
Cette montée du nazisme en Allemagne va s’accompagner, dans les Cantons de l’Est, d’une propagande de plus en plus acharnée contre la Belgique .
Le journal « Der Landbote » sera créé dès 1920 à Xhoffraix. Au départ, il devait défendre les intérêts du monde agricole mais il sera vite utilisé pour véhiculer les idées pro-allemandes. Il sera d’ailleurs largement financé par l’Allemagne nazie, au début des années 30, avant son interdiction.
Les premières manifestations d’un « patriotisme » pro-allemand à Eupen et Malmedy apparaissent dans les années 1925-1930. Avec les soutiens logistiques et financiers du Reich, des gens du cru créent des partis politiques, des associations sportives et d’utilité.
Les réactions de Bruxelles contre cette infiltration pro-allemande et, depuis 1933, franchement nazie, sont molles et souvent inadaptées.
1939 - Heure de gloire du Heimattreue Front
Les élections, enjeux majeurs pour la démocratie
Le 02 avril 1939, juste avant le début de la Seconde Guerre mondiale, des élections sont organisées en Belgique pour renouveler le parlement et le gouvernement national. Dans la région, le Heimattreue Front, parti financé par le régime nazi, se présente. Près d’un électeur sur deux vote en faveur de ce parti qui prône le rattachement à l’Allemagne.
Ce résultat montre la division de la population des Cantons de l’Est juste avant l’invasion de l’armée d’Hitler.
Depuis 1920 et le rattachement de la région à la Belgique, la population des Cantons de l’Est est partagée entre les pro-allemagne, les pro-belges et les silencieux.
Mais depuis 1929, un parti favorable au retour à l’Allemagne, Christliche Volkspartei Eupen-Malmedy-St-Vith, séduit la moitié des électeurs locaux. Il militait notamment pour la tenue d’une nouvelle consultation de la population pour déterminer si la région devait rester Belge ou redevenir Allemande.
La seconde guerre mondiale 1940 - 1945
Le retour en Allemagne
Le conflit de la Seconde Guerre mondiale commence en 1939, le 3 septembre, quand la France et l’Angleterre déclarent la guerre à l’Allemagne suite à l’invasion de la Pologne. À l’aube du 10 mai 1940, les troupes allemandes franchissent les frontières de la Belgique, des Pays Bas et du Grand- Duché du Luxembourg.
Pour les Cantons de l’Est, c’est un nouveau basculement. Une partie de la population se tait, a déjà fui ou fuit la région, une autre accueille les troupes allemandes en libérateur.
L’annexion des Cantons de l’Est
Alors que le reste de la Belgique sera occupé, les Cantons de l’Est seront annexés par l’Allemagne. Le « Völkischer Beobachter » du 20 mai 1940 publie le décret du IIIème Reich du 18 mai, signé par Hitler, annexant les trois cantons d’Eupen, Malmedy et St-Vith, ainsi que 10 communes qui n’avaient jamais été allemandes mais où la population parle un dialecte allemand : Welkenraedt, Montzen, Moresnet, Gemmenich, Hombourg, Sippenaeken, Baelen, Membach, Beho, Henri-Chapelle.
Par cette annexion, ce nouveau territoire tombe sous la législation allemande. La vie des citoyens est quadrillée par l’état et le parti unique : l’économie, l’éducation, la vie sociale, culturelle, professionnelle sont réglées, contrôlées jusque dans les moindres détails par de nombreuses organisations soumises à l’idéologie nazie.
Les enrôlés de force dans l’armée allemande
A partir du 23 septembre 1941, les hommes des territoires annexés, en âge de combattre, sont obligés de servir dans la Wehrmacht, l’armée allemande. Face à cette mesure, on assistera à trois types de réactions :
– une partie de la population qui a salué l’arrivée des Allemands en libérateur, s’engagera volontairement dans l’armée nazie ;
– les réfractaires de la Wehrmacht qui fuient ou résistent ;
– les enrôlés de force qui subissent l’obligation de rejoindre l’armée du Reich.
La Gestapo (police politique) sème la terreur partout dans la région pour empêcher toute rébellion. Certains opposants au régime choisissent l’émigration vers la Belgique ou ailleurs. Ceux restés sur place subissent vexations et restrictions. Les résistants au nazisme sont emprisonnés, déportés ou exécutés (on dénombre 62 dans les Cantons de l’Est).
La vie quotidienne sous l’annexion
Dans la région, après l’annexion, le parti nazi crée partout des associations d’utilité générale, sportives, d’engagement social et surtout la Hitler Jugend (Jeunesse Hitlérienne). Filles et garçons de 10 à 18 ans sont pris en charge par des Nazis convaincus du cru. 97 % des jeunes dans la partie germanophone et 93 % dans la partie francophone du canton de Malmedy adhèrent à la Hitler Jugend.
On y prône les idées nazies, mais on y pratique aussi le sport, le chant, le théâtre, le bricolage. On y organise des journées récréatives, des soirées familiales, le tout dans l’unique but de préparer la jeunesse à servir le système et l’armée. Les valeurs comme le patriotisme, la loyauté, le respect, l’esprit de groupe, l’obéissance et la fidélité à la parole donnée y sont glorifiées.
La propagande nazie est omniprésente : dans les journaux, les cinémas, sur les affiches. Il n’existe plus de radios indépendantes. Défense, sous menace de représailles, d’écouter des postes étrangers systématiquement parasités. Plus particulièrement à Malmedy : la place Albert devient «Adolf Hitlerplatz», le chant des Wallons du carillon de la cathédrale devient le «Deutschland über alles». Dans les écoles, l’allemand est devenu langue de l’instruction.
Des enseignants au service du régime prônent, parfois insidieusement à travers les différents cours, la suprématie de l’idéologie nazie. Même le clergé est obligé à certaines occasions de composer au besoin avec la propagande nazie.
1945 - Les traces de 25 ans d'instabilité
La fin de la guerre 08 mai 1945
A partir de septembre 44, les troupes américaines libèrent la Belgique qui récupère ses territoires des Cantons de l’Est. Mais les libérateurs gardent beaucoup de méfiance envers les populations locales soupçonnées d’avoir soutenu et peut-être de soutenir encore les Allemands.
Lorsque le 16 décembre 1944, Adolf Hitler lance sa dernière contre-offensive d’ampleur, la « bataille des Ardennes », les Cantons de l’Est seront en première ligne des combats entre les troupes alliées et les troupes allemandes.
Plusieurs massacres auront lieu dans la région, dont le plus connu : « le massacre de Baugnez ».
Il faudra attendre mi-janvier 1945 pour voir les troupes allemandes définitivement chassées de la région. La population sera alors particulièrement meurtrie et déchirée. La plupart des « pro-allemands » quitteront rapidement la région ou seront arrêtés.
Le bombardement de Malmedy et St-Vith
Au plus fort du conflit, Malmedy subit trois bombardements successifs de l’aviation américaine : les 23, 24 et 25 décembre. La ville est détruite à 80 % et Saint-Vith, également bombardée, est détruite totalement.
Ces bombardements firent presque 193 victimes civiles à Malmedy et 154 à St. Vith, sans compter les morts lors des combats. De Bullange en passant par St. Vith jusqu’à Burg-Reuland, 90 % des habitations, en moyenne, ont subi des dégâts de guerre.
Le sort des enrôlés de forces de l’armée allemande
La fin de la guerre se caractérise dans la région par un climat de suspicion et de délation. On assiste à des règlements de compte entre civils. L’Etat ne fera jamais la distinction entre annexion et occupation. Il jugera donc les enrôlés de force de la même manière que les collaborateurs.
Des 8700 soldats qui ont combattu contre les forces alliées, 3200 sont morts ou ont disparu durant le conflit. Les survivants, les «soldats enrôlés de force», doivent se justifier devant la justice belge. Ils risquent de perdre leurs droits de citoyen belge, de voir leurs biens mis sous séquestre et des peines d’emprisonnement. Souvent les mères ou les épouses devront recourir à des avocats aux honoraires élevés pour obtenir la libération de leur fils ou époux.
Il y aura 1503 condamnations parmi la population des Cantons de l’Est.
Vers un statut particulier
La reconnaissance du statut particulier des enrôlés de force n’entre en vigueur qu’en 1974. Des 6000 demandeurs, 5000 obtiennent, après examen par une commission, ce statut, ce qui leur donne le droit à partir de 1989 à un dédommagement.
C’est dans ce contexte que la Région de langue allemande est créée. Composée des cantons d’Eupen et de St-Vith, elle est désormais séparée des communes de Malmedy et de Waimes, communes francophones à facilités pour les germanophones.
Toute cette histoire sera finalement peu à peu enfouie pour apaiser les tensions au sein d’une population frontalière meurtrie par plus de cinquante ans d’incertitude identitaire.